ARTIGOS
Activités d´ecriture approchée et entrée dans l' écrit des jeunes enfants: analyse comparative de démarches didactiques en premiére primaire en France
Florence Mauroux
CLLE (Cognition Langues Langage Ergonomie Équipe de Recherche en Syntaxe et
Sémantique), CNRS Université de Toulouse 2-Le Mirail- Jean Jaurès
florence.mauroux@wanadoo.fr
RÉSUMÉ
Nous présentons le suivi d’une cohorte d’élèves, de la grande section
(troisième année de maternelle en France - 5 ans) à la fin du CE1 (deuxième
année de primaire – 7/8 ans). La population est constituée d’un groupe contrôle
et d’un groupe expérimental pratiquant des séances hebdomadaires
d’écriture approchée, observées et filmées à différentes périodes de l’année
(octobre, mars et juin). Dans notre contribution, nous analysons les séances
filmées en fin de CP (première primaire), dans une perspective
essentiellement comparatiste. L’objectif est de décrire la démarche
didactique mise en œuvre par les enseignanteslors de séances d’enseignement de
l’écriture. L'analyse des productions d'écrit et des verbalisations des élèves
nous permet également d'évaluer ces démarches d’enseignement et de caractériser
celle qui semble le plus propice au développement de compétences
métalinguistiques des apprentis scripteurs.
Mots-clés:début primaire, écriture approchée, démarche didactique, enseignement de l’écrit
ABSTRACT
We present the follow-up of a group of pupils, from Grande section (third
year of kindergarten in France – 5 years old) to the end of CE1 (second year of
primary school – 7/8 years old). The population consists of a control group and
an experimental group that practices weekly sessions of invented spelling,
observed and filmed at different moments of the year (in October, March and
June). In our contribution, we analyze the sessions filmed at the end of CP
(first year of primary school) in an essentially comparative perspective. The
aim is to describe the didactical approach implemented by teachers in these
sessions of teaching to spell. The analysis of the pupils’ written productions
and verbalizations also allows us to assess theses teaching approaches and to
characterize the one that seems the most convenient to the development of
metalinguistic skills for young writers.
Keywords: beginning of primary school, invented spelling,
didactical approach, teaching to spell
1. INTRODUCTION, CADRE THEORIQUE ET PROBLEMATIQUE
La production d’un écrit autonome est une tâche complexe qui mobilise différents
processus rédactionnels (Hayes et Flower, 1980). Parmi eux, la mise en texte
fait référence, entre autres, aux opérations d’organisation du texte et de
construction syntaxique, aux choix lexicaux, mais aussi à la
représentation orthographique des mots que nous appelons ici mise en mots.
Celle-ci nécessite de noter les correspondances phonographiques (désormais
encodage) et de faire un traitement orthographique des mots à écrire.
L’étape de révision permet de repérer (lecture) puis de corriger (édition) les
erreurs en intervenant sur le texte, en cours ou en fin de production, sur
différentes unités linguistiques allant du paragraphe à la lettre.
Pour les apprentis scripteurs, les recherches en psycholinguistique décomposent l’apprentissage en sous- processus et suggèrent d’entraîner distinctement la mise en texte et la mise en mots pour alléger la charge cognitive (Fayol et Heurley, 1995), même si l’objectif est que l’élève puisse, à terme, gérer simultanément ces différentes compétences.
Dans ce but, des recherches à visées psycholinguistique et didactique (David, 2007; Fijalkow et al, 2009; Ouelette et Sénéchal, 2008a, 2008b; Morin et al., 2009), réaffirment la nécessité de prendre en compte, dans les essais d’écriture du jeune enfant, les connaissances déjà construites du système écrit et de l’amener à développer une clarté cognitive sur son fonctionnement (Downing et Fijalkow, 1984; Fijalkow et Liva, 1993). Lors d’entretiens métagraphiques (Jaffré, 1995 ; Rieben et al, 2005), l’élève est amené à verbaliser ses choix d’écriture. Il va ainsi mobiliser ses connaissances du langage écrit mais également développer des capacités métalinguistiques lui permettant «d’en piloter pas à pas l’utilisation» (Gombert, 1991).
Pour y parvenir, plusieurs études (Morin et Montésinos-Gelet, 2003; David, 2008) montrent que tous les contextes d’écriture ne se valent pas. Les activités d’écriture approchée proposent ainsi aux élèves de produire par écrit des mots ou des phrases qui ne leur ont pas été enseignés afin de comprendre comment ils mobilisent leurs connaissances de l’écrit (Besse, 2001). Elles impliquent un retour des élèves sur leurs productions et sont, de ce fait, les plus favorables au développement des compétences métalinguistiques (Rieben et al., 2005 ; Sénéchal et al, 2012).
Il semble donc nécessaire de caractériser ces contextes d’enseignement. Pour cela, l’analyse des pratiques d’enseignement, qui s’est développée depuis plusieurs années, propose une méthodologie et des outils variant en fonction des objectifs visés (Bru, 2002). Il s’agit de décrire les pratiques de l’enseignant, l’activité des élèves ou bien de mettre en lien les deux, le plus souvent dans le but d’adapter la formation des enseignants. Ces travaux s’appuient tantôt sur des données déclaratives recueillies par le biais d’enquêtes ou d’entretiens auprès des enseignants, tantôt sur des typologies de description des pratiques effectives des enseignants ou de l’activité des élèves construites à partir d’observations de séances de classe (Bressoux et al, 1999, Bru, 2002; Schneuwly, Dolz, et Ronveaux, 2006).
En sciences du langage et en didactique du français, on trouve ainsi des travaux d’analyse des pratiques observées dans l’enseignement de la lecture (Goigoux, 2002, Branca-Rosoff et Gomila, 2004) et de la grammaire (Garcia Debanc et Sanz-Lecina, 2008). Dans le domaine de l’enseignement de l’encodage, les travaux sont peu nombreux (Charron, Montésinos-Gelet, Morin, 2009).
Notre contribution s’inscrit dans ce champ d’investigation. Elle propose une étude de cas croisée des pratiques d’enseignement de l’écriture de deux enseignantes de cours préparatoire (1ère primaire, désormais CP), l’une mettant régulièrement en place des séances d’écriture approchée, l’autre ayant recours à d’autres pratiques d’écriture. L’objectif est double: il s’agit à la fois de décrire/d’analyser finement l’activité enseignante mais également des productions et verbalisations d’élèves de ces deux classes. Notre but est plus précisément de mieux comprendre le contexte d’enseignement de l’écriture via la pratique de séances d’écriture approchée et de tenter de l’expliquer : quelles sont les variables qui le caractérisent ? Les données recueillies auprès des élèves permettent-elles d’inférer des liens entre ces pratiques et les compétences métalinguistiques développées et/ou construites par les élèves
Après avoir précisé le cadre de l’étude et la méthodologie employée, nous analysons les deux contextes d’enseignement sous différentes variables puis quelques productions et verbalisations d’élèves afin d’évaluer les effets de ces contextes sur la conceptualisation de la langue écrite chez ces jeunes scripteurs.
2. CONTEXTE DE L’ETUDE ET METHODOLOGIE
2.1 Démarche d’expérimentation et participants à l’étude
L’expérimentation s’est déroulée dans deux classes de deux écoles de
Carcassonne (Aude, France) situées en zone d’éducation prioritaire,
c’est-à-diresur un territoire accueillant un public qui rencontre des
difficultés sociales importantes.
La classe expérimentale (classe A), utilise la méthode d’enseignement visée et pratique régulièrement des activités d’écriture approchée. La classe contrôle (classe B) n’utilise pas la méthode d’enseignement visée mais pratique d’autres activités d’écriture que nous décrivons plus loin.
Le suivi longitudinal d’une cohorte de 23 élèves dans chaque classe a débuté au deuxième trimestre de grande section (3ème année de maternelle, enfants de 5/6 ans-) et s’est poursuivi jusqu’à la fin du CE1 (2ème primaire). Pour cela, les élèves ont été évalués avant le début de l’expérimentation au deuxième trimestre de Grande section (pré-test) à l’aide d’un dispositif d’évaluation des compétences de scripteur que nous avons conçu. Cette épreuve comprend quatre exercices. Le dernier consiste en une de production de phrase suivie d’un entretien métagraphique mené par le chercheur et permettant, entre autres, d’évaluer les compétences métalinguistiques des élèves.
Au cours du CP et du CE1, les élèves ont été évalués à trois moments de l’année (septembre, janvier et juin) avec le même dispositif d’évaluation de façon à pouvoir mesurer les progrès effectués. Un test de lecture a été ajouté à partir de septembre du CP pour évaluer les compétences de décodage des élèves.
Cette contribution est centrée sur la deuxième année de notre
étude, soit le CP qui est la première année d’apprentissage systématique de la
lecture-écriture à l’école primaire. Les deux enseignantes sont expérimentées.
Elles pratiquent depuis 8 à 10 ans, dont plusieurs années consécutives dans ce
niveau de classe.
2.2 Données collectées
Les données recueillies sont de différentes natures. Nous avons tout
d’abord établi un recueil des pratiques d’écriture sous ses
différentes variables afin d’estimer le temps consacré à cet enseignement
dans les deux classes. Les éléments recueillis ne sont pas analysés
dans cette contribution.
Nous avons collecté les traces écrites des évaluations des élèves et les résultats des tests de lecture aux différents moments de l’expérimentation. Les enregistrements audio des entretiens métagraphiques menés au cours de l’évaluation de production de phrase ont été retranscrits.
Enfin, nous disposons de trois vidéos de séances de classe,
d’une heure environ, filmées dans chaque classe en octobre, janvier et juin de
l’année de CP. Les séances sont représentatives des séances d’enseignement de
l’écriture menées dans chacune des classes.
2.3 Outils d’analyse
Le synopsis de deux séances vidéo (Schneuwly, Dolz, et Ronveaux, 2006)
décrit les différentes phases de la séance et leur durée, l’activité des
enseignantes et celle des élèves ainsi que la répartition et la nature des
échanges. On peut ainsi voir si des formats de séance, au sens de schémas
récurrents d’actions-échanges (Bruner, 1987), apparaissent. Ces formats
permettent de caractériser l’activité enseignante en termes
d’intention-réalisation-feed back (ibid).
En nous inspirant des travaux précédemment cités sur l’analyse des pratiques d’enseignement de la lecture et de la grammaire, nous avons construit une grille d’analyse adaptée à l’enseignement de l’encodage. Elle s’appuie à la fois sur des déterminants pédagogiques, c’est-à-dire adaptables à toutes les disciplines et sur des déterminants didactiques, spécifiques à l’objet d’étude. Elle est centrée sur la façon dont les enseignantes mobilisent les connaissances sur la langue écrite et les compétences d’encodage des élèves au cours d’une séance d’enseignement de l’écriture.
En parallèle, nous avons inventorié les occurrences d’utilisation de termes métalinguistiques pour tenter de caractériser les pratiques métalinguistiques des enseignantes et secondairement celles des élèves.
Nous analysons ici les vidéos et évaluations de la fin de
l’année de CP (juin). En effet, si notre postulat est que la pratique régulière
d’activités d’écriture approchée est de nature à développer les compétences
d’encodage et les compétences métalinguistiques des élèves, la comparaison nous
semble d’autant plus significative si elle se situe après une année
d’apprentissage systématique du lire-écrire dans les deux groupes.
3.MISE EN ŒUVRE D’UNE SEANCE D’ECRITURE/REVISION DE PHRASE EN CLASSE
Nous tentons de caractériser les deux contextes d’enseignement de l’écriture
en nous appuyant sur différentes variables: le choix de la tâche et du
matériau linguistique, l’organisation de la séance et la gestion du groupe,
l’étayage de l’enseignement et la gestion de l’hétérogénéité et enfin
l’activité de l’élève. L’analyse des productions et verbalisations de deux
élèves donne un exemple des effets de chacun des contextes d’enseignement de
l’écriture sur les compétences métalinguistiques des élèves en situation de
production d’écrit.
3.1 Choix de la tâche et du matériau linguistique
Les deux enseignantes s’attachent à contrôler l’intérêt didactique des
phrases proposées. La figure suivante reprend le matériau linguistique choisi par chacune d’elle pour cette séance de production/révision de phrase.
Fig. 1 Phrases proposées en production et/ou révision
L’enseignante de la classe A propose une tâche de dictée: les élèves écrivent la phrase choisie par l’enseignante en fonction du vécu de la classe et des problèmes linguistiques qu’elle peut poser (notamment morphologie écrite du nombre pour les noms et les verbes). L’objectif est donc que l’élève résolve les problèmes de notation des correspondances phonographiques et fasse un traitement orthographique des mots.
L’enseignante de la classe B propose une tâche de révision de phrases produites la veille par quelques élèves. Ce choix est motivé par la pertinence des phrases dans le projet d’écriture d’un cahier de vie «Mon année au CP». Cette tâche a pour objectif pédagogique d’entrainer l’élève à corriger des phrases.
Ces tâches ne mobilisent pas les mêmes compétences, ni le même investissement de la part des élèves. Dans la classe A, l’élève écrit puis révise la phrase dictée. Il est déchargé de la mise en texte et se centre sur l’encodage. Dans la classe B, il s’agit d’une révision différée qui doit, de ce fait, débuter par un temps de lecture. Interrogeant indifféremment les élèves en fonction de leurs compétences dans ce domaine, l’enseignante est amenée à assurer un étayage pour le décodage des mots. De plus, les énoncés proposés montrent que l’élève doit traiter conjointement des problèmes de natures très différentes. En effet, la grille d’aide à la révision sur laquelle s’appuie l’enseignante mêle également plusieurs aspects : construction syntaxique, présence/absence de la majuscule et du point, segmentation de la phrase en mots,correspondances phonographiques, notation des marques morphologique du pluriel ou du féminin des noms.
Malgré une intention pédagogique
identique affichée par les deux enseignantes, on voit apparaitre ici deux
objectifs distincts, l’un (classe A) portant sur des problèmes d’encodage et de
notation des marques morphologiques, l’autre (classe B) sur la mise en texte et
l’ensemble des sous-processus qu’elle implique.
3.2 Organisation de la séance et gestion du groupe
Les modalités de travail choisies peuvent influer sur l’investissement des
élèves dans les tâches proposées. En effet, dans la classe A, les élèves
sont installés à leur table de travail, en situation de production/révision
d’une trace écrite. Dans la classe B, une grande partie de la séance se
déroule en collectif, les élèves étant regroupés devant le tableau. Cela
peut entraîner, chez les élèves, une dispersion de l’attention; on constate
alors qu’une partie importante du temps est consacrée à la gestion des
conflits: l’enseignante de la classe B doit rappeler les règles de travail
au cours de 42 tours de parole, contre 8 dans la classe A.
L’analyse du synopsis des séances a permis de dégager une structure résumée par la figure suivante:
Fig. 2 Structure des séances analysées
Si le temps de préparation à
l’écriture est sensiblement plus long dans la classe A, c’est davantage ce qui
est visé dans cette phase qui diffère d’un groupe à l’autre. En effet, dans la
classe A, l’enseignante dirige immédiatement l’attention des élèves vers
l’encodage de la phrase à écrire et les amène à anticiper la démarche et les
difficultés qui pourraient survenir. L’enseignante de la classe B, quant à elle,
insiste sur le sens de l’activité de production écrite et amène les élèves à
expliciter le but de la tâche, rappelant au passage le rôle de l’erreur dans
l’apprentissage en général. Le temps de production/révision
individuelle est légèrement plus important dans la classe B. Notons toutefois
que les modalités de travail sont très différentes dans les deux groupes.
Dans la classe A, tous les élèves produisent et révisent la phrase,
l’enseignante passant d’un élève à l’autre pour les étayer lors de la phase
individuelle. Dans la classe B, les élèves qui le souhaitent viennent demander
une aide à la révision à l’enseignante installée pour cela à son bureau. Alors
que tous les élèves ont reçu la même consigne, très peu d’élèves sollicitent
l’enseignante, et la plupart d’entre eux passent rapidement à une autre activité
(aider un camarade, lire un livre au coin bibliothèque, faire une fiche sur
l’alphabet ou les sons). L’observation des élèves montre ainsi qu’au cours de
cette séance certains élèves auront corrigé des erreurs signalées par
l’enseignante, la majorité d’entre eux ayant seulement écrit quelques mots voire
aucun. Le temps de révision collective
est lui aussi aménagé de façon différente. Dans la classe A, il est consacré à
la résolution des problèmes d’encodage et de notation des marques
morphologiques: au cours d’une étude systématique de chacun des mots de la
phrase, les élèves sont amenés à justifier leur choix d’écriture et à discuter
des solutions alternatives proposées par leurs camarades. Dans la classe B, le
temps de lecture de la phrase est suivi d’une discussion visant à repérer les
erreurs au moyen de la grille de relecture et à corriger des problèmes de
différente nature. 3.3 Formats récurrents
d’actions-échanges
Fig. 3 - Formats récurrents d’actions-échanges
Dans la classe B, la révision est guidée par la fiche
autocorrective, ce qui renforce un traitement linéaire et non hiérarchisé des
sous-processus rédactionnels (tours de parole 71, 72, 75, 77, 91, 93 et
95 Enseignante de l’annexe 2). A plusieurs reprises au cours de la séance,
l’enseignante de la classe B diffère la résolution du problème et/ou corrige
elle-même la proposition de l’élève, expliquant que ce problème est trop
difficile pour le moment et qu’ils l’étudieront l’année prochaine
(100 Enseignante, annexe 2). Dans ces conditions, la généralisation semble difficile et on peut craindre une dérive vers le sur-ajustement didactique(Andrieux et al, 2001) qui consisterait à résoudre les problèmes à la place de
l’élève. Les aides apportées par les enseignantes interviennent à tous
les moments de l’activité: avant, dans le temps de préparation à la tâche, en
parallèle de l’activité de l’élève et a posteriori, pendant les temps de mise en
commun, généralisation ou synthèse. Les formes choisies sont également
similaires d’une enseignante à l’autre(questions ouvertes ou fermées, relances,
reformulations). La nature de l’étayage est cependant différente. La tâche
proposée, production/révision dans un cas, révision différée dans l’autre,
participe sans doute à cet état de fait. On constate, dans la classe A, une plus grande prise en compte
de l’hétérogénéité: 17 élèves sur 19 sont interrogés ou prennent la parole au
cours de la séance, contre 11 sur 17 dans la classe B. L’enseignante A sollicite
les élèves en fonction de leurs possibilités, alternant encouragement et
exigence pour leur permettre d’avancer dans la résolution d’un problème. Nous
avons déjà noté que tel n’était pas le cas dans la classe B. De même, la démarche dans la classe A est basée sur la prise en
compte des observations divergentes quand l’enseignante de la classe B choisit
parfois de les ignorer et interroge de façon privilégiée les élèves performants
qui sont les plus susceptibles d’apporter une réponse ajustée au problème posé.
Dans les deux classes, on note, bien sûr, une aide à la
production et/ou à la révision des phrases: les enseignantes suggèrent des
stratégies ou des aides, prennent en charge une partie de la tâche, valident ou
invalident des hypothèses faites par les élèves pour arriver à la forme
orthographique normée. L’utilisation des termes de la métalangue enseignée diffère d’un
groupe à l’autre. L’enseignante A utilise et suscite l’usage des termes précis
et adaptés. On note ainsi l’emploi de mot, phrase, verbe, nom, déterminants,
prénom, pronom, les derniers étant notamment utilisés pour identifier la classe
grammaticale d’un mot et déterminer la marque du pluriel à utiliser.
L’enseignante de la classe B a uniquement recours aux termes phrase et mot, et,
curieusement, au terme connecteurs dont on peut se demander si des élèves de CP
sont en âge de comprendre les concepts d’organisation textuelle sous-jacents. De
même, la morphologie écrite du nombre, désigné dans la classe B par la lettre
«S», ne renvoie qu’à la notion de pluralité appliquée aux noms. Cette
pratique, fréquente dans les classes de CP, risque de cristalliser chez les
élèves des représentations du pluriel qui perdurent au-delà de l’école primaire
(Thévenin, Totereau, Fayol et Jarousse, 1999). Associée à l’utilisation par
l’enseignante B d’un registre métaphorique qui ne s’appuie pas explicitement sur
le fonctionnement normé de la langue écrite [1] cette pratique peut induire une confusion dans l’esprit des élèves et gêner la
généralisation et la conceptualisation de la langue.
Fig. 4 - Activités de l’élève
On constate d’emblée que, dans la classe B, une partie importante des tours de
parole (55/185, soit près d’un tiers) n’est pas directement liée à l’activité
d’écriture/révision proposée, alors qu’ils sont très peu nombreux dans la classe
A (10/232). Il s’agit le plus souvent d’échanges consacrés au rappel des
règles de travail ou à l’aspect matériel. Les élèves sont également amenés à
compléter un énoncé proposé par l’enseignante sous forme de lecture-chorale de
la fiche auto corrective. Le nombre d’échanges consacrés à
la validation/invalidation d’une hypothèse et à la justification des choix est
sensiblement le même dans les deux groupes. Dans la démarche de résolution de
problème proposée dans la classe A, les élèves sont très largement amenés à
anticiper et à faire des propositions de graphie ou de notation des marques
morphologiques. Cela confirme la centration de l’enseignante sur les difficultés
d’encodage. En revanche, et comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, les élèves
de la classe B sont davantage centrés sur l’activité de lecture (40 tours de
parole contre 14 dans la classe A), au détriment de la tâche de production ou de
révision de phrase. Au final, ils n’auront passé que peu de temps à écrire ou à
faire des propositions de révision portant sur l’encodage des mots (11 tours de
parole contre 73 pour la classe A). Les élèves en ont d’ailleurs conscience :
lors de la synthèse intermédiaire, lorsque l’enseignante demande qui peut
expliquer ce qu’ils ont fait précédemment, une élève répond «on a fait de la
lecture». 4. ANALYSE DE PRODUCTIONS ET DE
VERBALISATIONS D’ELEVES Tous les résultats ne peuvent être
présentés dans cette contribution. Nous analysons ici les productions et
extraits d’entretiens métagraphiques de deux élèves, l’une dans la classe A
(Violaine, extrait 1) et l’autre dans la classe B (Marie, extrait 2), au cours
de l’évaluation du mois de juin. Ces deux élèves présentent un profil
similaire: elles sont décrites par leur enseignante comme des élèves en
difficulté de lecture-écriture et obtiennent des résultats similaires au test de
lecture du mois de juin correspondant à un niveau de fin de deuxième trimestre
de CP. Ce choix de nous centrer sur deux élèves en difficulté s’appuie sur les
recherches en psycholinguistique (Morin et Montésinos-Gelet, 2007) ayant montré
que ces élèves étaient les plus susceptibles d’améliorer leurs performances en
encodage/décodage dans un contexte de pratique régulière d’activité d’écriture
approchée. On a demandé aux élèves de
produire une phrase à partir d’une image représentant des enfants en train de
construire des châteaux de sable. Voici leur production et les extraits les plus
représentatifs de leurs verbalisations en situation d’explicitation de leurs
choix graphiques.
Fig. 5 - Extrait
1: Violaine, classe A, 18/06/2013
Fig. 6 - Extrait 2: Marie, classe B, 18/06/2013
Le niveau de performance est assez proche chez ces deux élèves.
En nous appuyant sur les différents types d’erreurs proposés par N. Catach
(1995), on constate en effet que les erreurs extragraphiques sont très rares:
Marie (classe B, extrait 2) a choisi d’écrire en lettres capitales et hésite
encore sur la segmentation de la phrase en mots mais elle rectifie d’elle-même
en séparant les mots par un trait au moment de la relecture demandée par
l’adulte (dest/chato). Les erreurs graphiques proprement
dites sont également peu nombreuses: les mots, transcrits par stratégie
phonographique, sont, pour la plupart, phonologiquement plausibles. Quelques
erreurs (présence du «e» dans font/fone pour Violaine, extrait 1, et
avec/avece pour Marie, extrait 2) altèrent encore la prononciation des mots.
Les erreurs à dominante
morphogrammique sont en revanche de nature différente: on constate que Marie
omet de noter les marques morphologiques du nombre (des chato, extrait 2),
tandis que Violaine les note mais avec une confusion sur la nature des mots
et écrit le morphogramme correspondant à un verbe pour noter la pluralité du nom
(des chatoent, des sablent, extrait1). Cela constitue une erreur assez rare
puisque les élèves ont davantage tendance à surgénéraliser sur le modèle du
pluriel des noms(Thévenin, Totereau, Fayol et Jarousse, 1999) Enfin, on note également que
Violaine a correctement orthographié les mots grammaticaux et et des (extrait
1), sans doute disponibles dans le lexique orthographique déjà mémorisé, tandis
que Marie produit avec erreur avec (avèce) et des (dest) (extrait 2), même si ce
dernier exemple montre qu’elle fait également appel à un lexique orthographique
des mots grammaticaux pour écrire d’autres mots (est pour écrire des/dest).
Les verbalisations montrent, quant
à elles, un niveau de conceptualisation et de connaissances sur la langue
bien différent. En effet, les explications de Violaine (classe A, extrait 1)
font apparaitre clairement les différentes étapes de la démarche d’encodage
phonographique sous-jacente. Les termes syllabes, mots et sons sont utilisés à
bon escient. En revanche, les commentaires de Marie (classe B, extrait 2) sont
davantage tautologiques («je le sais parce que je l’ai appris») et la démarche
d’encodage semble moins explicite, comme peut le faire penser l’emploi du terme
lettres pour désigner les phonèmes du mot. Le répertoire de mots écrits en voie
directe (des, avec) ne semble pas stabilisé puisque les mots, bien que déclarés
«appris», sont écrits de façon erronée. Malgré les erreurs liées à
l’identification de la nature des mots château et sable, il semble que Violaine
(extrait 1) ait construit la notion de pluriel: elle s’appuie à la fois sur des
indices sémantiques et syntaxiques pour le justifier. Elle a conscience de la
distinction entre les marques morphologiques du nombre pour le nom et le verbe.
Quant à elle, Marie ne note aucune marque morphologique et on peut supposer
qu’elle n’est pas encore entrée dans des préoccupations orthographiques. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES Nous pouvons caractériser ainsi
les deux démarches analysées tout au long de cette étude : classe A : démarche par résolution
de problèmes, centrée sur l’encodage et le traite-ment orthographique des
mots, dans laquelle l’anticipation, l’explicitation des choix graphiques et les
interactions entre pairs tiennent une part importante, classe B : démarche mêlant à la
fois compétences de lecture, de mise en texte et de mise en mots, le plus
souvent gérée individuellement entre l’élève et l’enseignant. L’analyse de l’activité des élèves
dans les deux classes nous permet de réaffirmer l’intérêt d’entrainer les élèves
distinctement aux différents sous-processus impliqués dans l’écriture et ce, de
façon explicite pour les élèves, comme cela est fait dans la classe A. De même,
si l’activité de révision de texte, ici des phrases, dérive vers une activité de
lecture, ce que nous avons constaté dans la classe B, le risque est de voir
s’installer chez les élèves une confusion entre tâche de lecture et d’écriture.
Les compétences métalinguistiques
mobilisées par les élèves de la classe A lors des entretiens métagraphiques
consécutifs à une production de phrase montrent que le format d'actions-échanges
et l’étayage proposés par l’enseignante A semblent de nature à favoriser et
développer la conceptualisation de la langue écrite, y compris chez les élèves
les plus fragiles. L’étayage de l’enseignant,
notamment la gestion des interactions et des propositions des élèves, semble
donc être une variable déterminante pour amener les élèves à construire une
clarté cognitive sur la langue. La pratique mise en œuvre dans la classe A tend
vers cet objectif: l'enseignante s’appuie sur les compétences linguistiques et
les connaissances du système du français écrit mais également sur les
stratégies et procédures qui sont mobilisées par les élèves. En
revanche, dans la classe B, l’enseignante a souvent recours à un questionnement
fermé, centré sur le résultat, dans lequel les élèves n’ont pas réellement à
s’interroger sur le fonctionnement de la langue. Bien que notre étude ait les
limites propres à l’étude de cas, elle offre toutefois une nouvelle illustration
des bénéfices de la pratique régulière d’activité d’écriture approchée qui
implique un feed back accompagné de l’élève sur sa production. L’analyse des
données collectées sur l’ensemble du corpus permettra une approche qualitative
et quantitative plus significative. L’intention de cette recherche est
également de parvenir à une typologie des opérations de l’enseignante dans
l'enseignement des compétences d'encodage qui pourrait ainsi modéliser la
pratique la plus favorable au développement des compétences métalinguistiques
chez les jeunes scripteurs. La démarche pour y parvenir suppose la maitrise par
l’enseignant des composantes de l’activité, c’est-à-dire à la fois une
connaissance précise des objets linguistiques et des activités langagières, mais
également des processus d’apprentissage et des modalités de guidage efficaces
(Goigoux,2002). Ce document est en cours d'élaboration. Il a vocation à être
utilisé en recherche et en formation. BIBLIOGRAPHIE
ANDRIEUX et al. (2001). A partir des évaluations nationales à l’entrée en
sixième: des constats sur les élèves, des questions sur les pratiques. Education
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Contacto: Florence Mauroux,CLLE (Cognition Langues Langage Ergonomie Équipe de
Recherche en Syntaxe et Sémantique), UMR 5263, CNRS & Université de Toulouse 2-Le Mirail-
Jean Jaurès, Université de Toulouse, 5 Allée Antonio Machado, 31100 Toulouse, França (Recebido em janeiro de 2014, aprovado em maio 2014)
NOTES
[2] Exemples: Classe A: 261 Elève: Je
tape les syllabes; Classe B: 162 Elève: tu baisses le ton de la voix [à la
fin d’une phrase].
[3] Les transcriptions tiennent comptent
des conventions de transcription du GARS (souligné: chevauchement; - pause
brève; -- pause longue).Ce que l’enseignante note au tableau est écrit
entre parenthèses.
[4] L’orthographe moderne recommandée
par le Conseil supérieur de la langue française est utilisée dans ce texte.
ANNEXES Annexe 1: Exemple de format d’actions-échanges récurrent dans la classe
A [3], 01/07/2013 30 Jihane: «Cécile»
avec une majuscule Annexe 2: exemple de format d’actions-échanges dans la classe B,
11/06/2013 67 Enseignante: (…)
maintenant Daniel que tu as découvert la phrase une première fois pour que
ça fasse du sens dans ta tête je vais te demander de la relire en essayant
de la relire plus vite 68 Daniel: j’aimais la
chanson dans--des animaux 69 Enseignante: alors
encore une troisième fois sans erreur 70 Daniel: j’aimais la
chanson des animaux 71 Enseignante: ah et là
tu as fait la liaison[dezanimo] (note un lien entre des et animaux)
excellent bien tu écoutes tu n’es pas là pour discuter avec Eliès/ tu
es le maitre [4]
ou la maitresse qu’est-ce qui pose problème? tu dois corriger cette phrase
(montre la fiche autocorrective au tableau) et tu vas dire quoi? Est-ce que
l’enfant a pensé à une phrase? 72 Elèves : oui
non 73 Enseignante: il n’a
pas pensé à une phrase? «J’aimais la chanson des animaux»? 74 Elèves: Si 75 Enseignante: est-ce
que cet enfant a bien découpé les mots? 76 Elèves: oui 77 Enseignante: est-ce
que la phrase a du sens? 78 Elèves:oui 79 Inès: un peu parce
que «j’aimais»-- il faudrait rajouter «j’ai aimé» pas
«j’aimais» 80Enseignante: c’est
intéressant «j’ai aimé»-- pour dire que c’est terminé c’est ça? Mais
peut-être qu’il aimait même quand la classe était partie? 81 Inès;: non mais si on
dit «j’aimais» ça a pas trop de sens avec le reste 82 Enseignante :
«j’aimais la chanson des animaux» 83 Elèves: si ça a du
sens 84 Marie: si parce que
«j’ai aimé» c’est quand il y a longtemps longtemps qu’il aimait et
maintenant il aime plus 85 Enseignante: ça c’est
intéressant quand tu dis «j’ai aimé»; ça veut dire que c’était il y
a longtemps et que maintenant tu n’aimes plus alors que quand tu dis
«j’aimais la chanson des animaux» ça veut dire que tu as aimé
longtemps dans le temps 86 Inès: oui mais
«j’aimais» c’est que un temps j’avais aimé maintenant j’aime plus
«j’aimais» 87 Enseignante: --
écoute en tout cas c’est une phrase qui est au passé et dans le passé cet
enfant-là il aimait la chanson des animaux donc cette phrase on comprend
bien que c’est du passé (coche la case sur la fiche). 88 Elèves: il n’y a
pas le point 89 Enseignante: alors,
qu’est-ce qu’elle fait l’enseignante? 90 Elèves: elle met
une croix elle met un rond elle met un point 91Enseignante : c’est
un oubli donc je vais mettre un rond il n’y a pas la majuscule est-ce qu’il
a pensé au point cet enfant? 92 Elèves: oui 93 Enseignante : est-ce
qu’il a pensé aux connecteurs? 94 Elèves: non 95 Enseignante: là il
n’y en avait pas besoin est-ce qu’il y avait un pluriel? 96 Elèves: oui
non 9 Yasmine: oui. Dans
j’aimais 98 Enseignante: ah
j’aimais 99 Daniel: et dans 100 Enseignante:
écoutez bien «j’aimais» c’est «moi» c’est «je» qui «aimais»
et «moi» je suis toute seule le S que tu vois ici n’est pas un S du
pluriel d’accord? c’est un S qui sera toujours là quand on écrira
«j’aimais» et la maitresse Karine t’expliquera l’année prochaine
l’enseignante de CE1 t’expliquera l’année prochaine pourquoi on met un S à
la fin mais là, ce n’est pas le S du pluriel (…).
Bien que réparties de façon
différente, on retrouve trois phases importantes dans les deux séances : la
préparation à l’écriture, la production/révision individuelle et la révision
collective.
L’analyse des séances laisse apparaitre des formats de séance, c’est-à-dire des
séquences d’actions-échanges entre enseignante et élèves. Il s’agit de schémas
qui peuvent aller de 3 à 28 échanges pour le groupe A (30 occurrences) et
de 15 à 82 échanges pour le groupe B (4 occurrences). La Figure 3 présente les
actions des enseignantes qui caractérisent chacun des formats. Un exemple de
format dans chacune des classes est présenté en annexe.
Au cours de ces formats d’actions-échanges, l’enseignante de la classe A
facilite l’anticipation d’un problème, elle recueille et, au besoin, reformule
les propositions et arguments des élèves, les amène à justifier leurs hypothèses
(tours de parole 31, 33 et 35 Enseignante de l’annexe 1) puis donne des exemples
(41 Enseignante, annexe 1). En procédant par contextualisation/décontextualisation, elle facilite le processus de généralisation.
3.4 Etayage de l’enseignement et gestion de l’hétérogénéité
3.5 Activités de l’élève
Qu’en est-il de l’activité des élèves dans ces deux configurations?
L’observation des séances et l’analyse des échanges nous amène à une typologie
des activités des élèves. Nous avons quantifié les tours de parole des élèves
mobilisant chacune d’elle:
[1] 234 Enseignante: (…) ça s’appelle
une apostrophe l’apostrophe c’est celle qui donne le coup de poing;
c’est quand le A dit au E «je ne veux pas te voir! Va t-en!» et il
l’envoie très très loin en l’air.
31 Enseignante : alors pourquoi tu veux mettre une majuscule ?
32 Jihane : parce que c'est un prénom
33 Enseignante : hou- vous êtes d'accord ?
34 Élèves : oui
35 Enseignante : en plein milieu de la phrase ?
36 Élèves : oui/non/parce que c'est un prénom
37 Enseignante : c'est un prénom alors ça veut dire que même si c'est au
milieu de la phrase je mets une majuscule ?
38 Élèves : oui
39 Enseignante : très bien formidable (Trace une case au début du trait
matérialisant le mot Cécile pour représenter la présence d’une majuscule)
40 Élèves : si c'est un prénom
41 Enseignante : même si c'est au milieu de la phrase c'est un prénom
majuscule «Carcassonne» c'est un nom de ville «Je vais à
Carcassonne.» «Carcassonne» c'est le dernier mot de la phrase c'est le
nom d'une ville je mets une majuscule «J'habite en France.» «France»
c'est le nom d'un pays même si c'est le dernier mot de la phrase je mets une
majuscule les prénoms les noms de villes les noms de pays toujours
toujours toujours toujours je ne me pose pas la question je mets une
majuscule même si c'est au milieu même si c'est à la fin très bien Jihane